Quand l'immobilier va, tout va ? (2024)

Quand l'immobilier va, tout va ? (1)

En 2018, Jean-Marc Daniel, le célèbre économiste, était l’invité de pierrepapier.fr. Ses propos et commentaires sur les drivers de l’immobilier résidentiel et d’entreprise, replacés dans une perspective historique, n’ont pas pris une ride. L’interview à voir et à revoir, sans modération.

Qu’est-ce que l’économiste que vous êtes pense des prix de l’immobilier, aujourd’hui ?

Jean-Marc Daniel[1] Je pense que ce qu’il y a d’intéressant dans les prix de l’immobilier aujourd’hui, c’est que tout le monde s’attend à ce qu’ils baissent. Et ils continuent à monter. En fait, ils continuent à monter dans certaines zones. Et, évidemment, dans d’autres zones, ils baissent. La question que l’on doit se poser est : est-ce qu’il y a des éléments autres que la simple règle de l’offre et de la demande ? Car les gens ont besoin de se loger. S’ils vendent, c’est parce qu’à un moment donné ils sont obligés de déménager. Ils vont ainsi déterminer les prix. Or, il y a une nouvelle école d’économistes que l’on appelle la nouvelle macro-économie classique qui dit, qu’en fait, le logement est aussi un actif. Et que les gens réagissent par rapport à leur logement en fonction des autres actifs qu’ils peuvent détenir.

C’est-à-dire ?

Jean-Marc Daniel – Quand la dette publique augmente, par exemple, les gens se disent qu’il va y avoir un moment où cette dette publique ne sera pas remboursée. Qu’il faut donc fuir cette dette publique. Et quitter les actifs financiers traditionnels, pour se mettre à investir dans le logement. En 1986-1987, un économiste américain, Robert Barro, a dit que le prix de l’immobilier à New York allait augmenter au fur et à mesure que la dette publique américaine augmenterait. Tout le monde lui a rétorqué : « cela n’a absolument rien à voir ! ». Et depuis, quand on compare l’évolution de la dette publique américaine et celle du prix de l’immobilier à Manhattan, on a une liaison quasi parfaite. Le prix de l’immobilier, c’est quelque chose qu’il faut suivre. Parce que c’est quelque chose qui peut être assez bizarre.

On répète à l’envi que, lorsque l’on veut faire un investissem*nt immobilier, le plus important est la localisation du bien. Est-ce vraiment le cas ?

Jean-Marc Daniel – La localisation, c’est très important. D’autant plus qu’il y a des éléments extérieurs au logement en lui-même qui vont en modifier le prix. Par exemple, ce que l’on appelle les externalités. Typiquement, quand la RATP ou un service de transport en commun crée une ligne, le prix de votre appartement se met à augmenter. Et puis il y a des mécanismes qui sont des mécanismes cumulatifs. Là aussi, un économiste américain, Henry Georges, a commenté ces processus à la fin du XIXe siècle. En constatant que, quand un quartier commençait à être prisé, les prix de l’immobilier se mettaient à monter. Les propriétaires pouvaient alors augmenter les loyers. Et donc consacrer davantage d’argent à acquérir de nouveaux appartements. Ce processus cumulatif est donc celui par lequel un «bon emplacement» permet d’accroître sa richesse. Pour l’illustrer, il a d’ailleurs pensé à un jeu…

Le Monopoly?

Jean-Marc Daniel – C’est effectivement un de ses disciples qui a imaginé le Monopoly. Au Monopoly, si vous détenez la rue de la Paix ou un autre endroit un peu prestigieux, vous accumulez de la richesse. En revanche, si votre quartier est peu coté, à chaque fois que vous repassez dans la rue de la Paix, vous êtes obligé de payer. Le but de ce jeu était de montrer que la localisation de l’immobilier va, au bout d’un moment, créer des distorsions dans la répartition des revenus. Qui supposent soit une réaction des pouvoirs publics, soit qu’à un moment donné on ferme des lignes de métro. Soit, au contraire, que l’on en ouvre à des endroits qui sont des endroits peu cotés.

Autre idée reçue: on entend souvent « quand le bâtiment va, tout va ». Que faut-il en penser?

Jean-Marc Daniel – Adage très connu, en effet. Son auteur est Martin Nadaud, un député creusois du temps de la révolution de 1848. Il finira par être préfet de la Creuse. Comme il était maçon de profession, on est persuadé que cette formule est associée à la situation de l’immobilier, d’une façon générale. Or, quand on examine l’intégralité de son discours, le bâtiment en question était… un bateau. Et ses mots exacts sont : « quand le bateau va bien, quand le bateau va loin, tout va bien ». Ce qui signifie que quand le chef du bateau sait où il va, la société, l’ensemble des gens qui sont à bord du bateau, vont bien. En réalité, c’est Haussmann, préfet sous Napoléon III, qui a récupéré cette formule. En disant effectivement quequand le bâtiment -l’immobilier- va, le secteur du BTP fonctionne bien. Tout comme l’ensemble de la société…

Haussmann a plagié Nadaud, en quelque sorte?

Jean-Marc Daniel – Quand on a raconté cette histoire à Nadaud -qui a survécu à Haussmann-, il a considéré que oui, finalement, c’était peut-être cette deuxième acception qui était la meilleure. Que quand le bâtiment va, non pas quand le bateau va à son port, mais quand l’immobilier va bien, la société est en pleine santé…

Encore une idée établie, les Français aiment la pierre. Mais est-ce que cela a toujours été le cas ?

Jean-Marc Daniel – Cela a toujours été vrai. Ce que je trouve intéressant dans le rapport des Français à la pierre, c’est que l’autorité publique s’est toujours investie dans la pierre. En particulier, le fait qu’elle ait investi dans l’architecture. Parce que la pierre, l’immobilier, ce sont certes des investissem*nts, et des logements. Mais c’est aussi une forme de beauté. Et l’autorité, en France, a toujours été attachée à faire des choses assez belles. Paris est supposée être la plus belle ville du monde. En partie parce que les autorités se sont beaucoup investies dans le maintien d’une certaine qualité de vie. Et d’un certain mode d’organisation autour de Paris.

L’Etat a donc modelé l’immobilier national?

Jean-Marc Daniel – En partie, oui. Il l’a aussi préservé. Le gros problème qui a affecté l’immobilier dans les temps passés, c’étaient les incendies. Eh bien, il y a eu très tôt des règles sur les incendies en France. Napoléon a d’ailleurs créé les sapeurs-pompiers -des militaires- pour assurer cette mission de lutte contre les incendies. A la suite d’un feu qui avait endommagé l’ambassade d’Autriche. Il considérait que ce genre de chose ne pouvait se produire dans la capitale française. Que l’enjeu national était de préserver et de protéger sa ville phare. Mais pas seulement. Il y a d’autres très belles villes en France. Bordeaux, par exemple, a un ensemble du XVIIIe siècle assez exceptionnel. Lyon est classée au patrimoine mondial de l’humanité.

Cet attachement à la beauté architecturale est-il toujours d’actualité?

Jean-Marc Daniel – Les autorités françaises, je l’ai dit, ont toujours été attachées à la beauté. Même Georges Pompidou, lorsqu’on a créé La Défense, avait demandé à ce que l’on implique les architectes. Parce que l’un des enjeux était de faire en sorte que le beau rende le lieu agréable à vivre. C’est agréable à vivre, si c’est confortable, mais aussi si c’est beau. Après, c’est aux gens de juger si La Défense, c’est beau !

L’immobilier d’entreprise est un concept plus récent. Quel est votre point de vue d’historien sur cette catégorie d’actifs ?

Jean-Marc Daniel – L’immobilier de l’entreprise s’est constitué d’une façon très pragmatique. Et un peu expérimentale. Au début, les premières usines, qui sont l’immobilier d’entreprise d’origine, sont grosso modo des bâtiments qui sont «disponibles». Pour ne pas dire abandonnés. En l’occurrence, les bâtiments qui appartenaient à la noblesse, avant la Révolution. On a donc créé les premières usines dans les hôtels particuliers abandonnés par la noblesse. À partir du XIXe siècle, on va avoir l’idée d’améliorer le cadre du travail. Encore une question de beauté… Car si le cadre est bien organisé, la production peut augmenter. Donc, l’immobilier d’entreprise a eu d’abord vocation à augmenter la productivité. Aujourd’hui, d’autres objectifs se sont ajoutés. L’immobilier d’entreprise a aussi pour but d’améliorer le confort et le bien-être des gens qui y travaillent.

Où situez-vous le coworking ?

Jean-Marc Daniel – Le coworking, c’est la phase de transition entre l’usine -où l’on est sur la chaîne- et le télétravail. On sera alors comme le sous-préfet de Daudet: dans les champs, en train de faire un discours. En se posant cette question: finalement, à quoi tout cela sert-il ?

Propos recueillis par Hélène Sérignac et Guy Marty

[1] Jean-Marc Daniel est professeur émérite ESCP Europe Business School. Il est également chroniqueur dans la matinale de BFM Business. Et l’auteur de nombreux livres parmi lesquels le passionnant « 8 Leçons d’histoire économique » aux éditions Odile Jacob

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